Quelle différence entre « développement durable » et « sustainable development » ?
On sait tous que l’expression « développement durable » est une mauvaise traduction du « sustainable development » apparu sous la plume de Gro Harlem Brundtland en 1987. De nombreuses polémiques entourent cette expression parce que ce qu’elle veut dire est quasiment le contraire du sens des mots qui la composent… L’idée sous-jacente était de proposer un concept auquel tout le monde puisse se rallier indépendamment des croyances religieuses, des idéologies et des régimes politiques, et qui motive chacun à participer à la construction d’un avenir pour l’espèce humaine sur cette planète. D’un coup d’œil, ce terme devait impliquer la critique et l’opposition au mode de fonctionnement actuel des systèmes économiques et dénoncer les déséquilibres insoutenables et dangereux qu’ils génèrent.
Mme Brundtland a choisi d’utiliser pour dire cela le terme de développement, ce que lui reprochent les tenants du mouvement pour la décroissance soutenable pour des raisons historiques et politiques : ce terme de développement a été inventé pour distinguer les pays en cours d’émancipation, dits sous-développés, des pays ex-colonisateurs, dits développés.
Si j’ai choisi aujourd’hui de continuer à utiliser ce terme de développement, c’est que j’estime que beaucoup de chemin a été fait depuis, pour faire réaliser aux nations riches que leur statut de pays développé était très relatif: la pauvreté, la malnutrition, la difficulté d’accès aux soins, l’analphabétisme etc. sont très présents dans nos sociétés dites développées, et de façon d’autant plus inacceptable qu’il s’agit de pays riches et puissants.
Alors plutôt que de jeter ce terme de développement, je continue à l’utiliser dans l’esprit qu’avait voulu Mme Brundtland, en l’appliquant à toutes les sociétés et tous les types d’acteurs, partant du principe que partout, l’humanité entière est dans un état de sous-développement : aucune société n’a atteint le niveau d’équilibre qui pourrait lui valoir réellement le qualificatif de société développée, un équilibre entre la satisfaction des besoins humains et celle des autres espèces cohabitant dans la biosphère de notre planète. Tout simplement parce qu’on ne peut être sûr de ne pas nuire à la satisfaction des besoins d’une espèce ou d’une communauté humaine quand on n’ignore son existence.
Nous savons encore très peu de choses les uns des autres sur cette planète, et nous avons besoin de développer cette connaissance, cette compréhension mutuelle pour continuer à vivre ensemble.
L’adjectif "durable", accolé à ce type de conception du développement (assez proche du concept de développement personnel, qui incite la personne à se connaître pour se sentir bien) insiste sur la notion de temps à laquelle Mme Brundtland faisait référence quand elle parlait de la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins.
Au Canada, on parle volontiers de "durabilité", directement. Dans nos sociétés relativement riches, où l’individu est l’unité de référence et où l’enfant est roi, cette notion de temps peut avoir une valeur très parlante. Mais ce n’est pas nécessairement le cas et ce rapport à la durée peut générer des comportements très destructeurs: pour être sûr de constituer un bel héritage à ses enfants, le réflexe dans nos sociétés (et depuis plusieurs centaines d’années) est de piller vite et bien le maximum de ressources, pour investir les bénéfices dans la recherche de solutions alternatives et philanthropiques. Donc compromettre la satisfaction des besoins des personnes qui vivent aujourd’hui à côté de nous, détruire l’habitat des autres espèces vivantes qui vivent aujourd’hui autour de nous, pour constituer le capital qui servira à quelques uns de nos proches à assurer leur avenir.
Pour les quelques personnes qui ont eu la chance de découvrir la démarche de l’association The Natural Step, cette notion de durabilité a un tout autre sens. Mais comme en France ces personnes-là sont encore très peu nombreuses, je préfère utiliser l’adjectif "responsable". Il relie les démarches dites de "développement durable" des collectivités publiques, des associations, au mouvement des entreprises engagée dans des logiques de "responsabilité sociale" par rapport à leurs salariés et de "responsabilité sociétale" par rapport à tout l’environnement socio-culturel dans lequel elles interagissent. Ces deux mouvements ont des origines différentes mais ont convergé en 1992 et évoluent dans le même sens depuis.
Qu’on parle de développement durable ou de développement responsable ou même de décroissance, il s’agit toujours d’une notion dynamique, en devenir, un objectif idéal à atteindre et à construire en même temps en s’adaptant en permanence à l’évolution complexe de l’ensemble du système. Personne n’a les plans, nous n’avons que le mode d’emploi : nous pouvons expliquer comment doit fonctionner une société pour assurer un équilibre maintenant et dans le futur entre besoins humains et besoins des autres espèces de la biosphère pour que continuent à fonctionner correctement les grands écosystèmes qui permettent à la vie d’exister sur Terre. C’est à cela que sert la Déclaration de Rio de 1992.
Personne n’a les plans et ne les aura jamais, mais cela ne veut pas dire que nous partons de rien, au contraire : de la même manière qu’en matière de développement personnel, il s’agit d’ouvrir les yeux sur la valeur de ce qu’on a déjà à notre disposition pour construire un bien être durable.